"l'œuvre d'art la plus désirable des temps modernes,
c'est une belle pièce pour y vivre".
Frank Lloyd Wright
Le Monde de ce soir publie la critique du film argentin l'Homme d'à côté, qui a pour décor la villa Curutchet, construite par Le Corbusier à la Plata. La critique est accompagnée d'un petit encadré non signé, qui donne au lecteur quelques précisions sur la maison :
" Le Corbusier aimait l'Amérique du Sud à sa manière : au point de considérer, en 1936, que "la Ville de Rio n'existe pas encore". Il participera avec Oscar Niemeyer à la construction du ministère de l'éducation nationale à Rio de Janeiro (1936-1943). Et c'est presque tout, sauf... un peu plus loin en Argentine, à La Plata : la villa du docteur Curutchet, dessinée en 1948, achevée en 1953. "Corbu" n'y mit jamais les pieds. Trois architectes furent successivement mandatés pour se crever à la tâche. Il en reste une belle maison à l'écriture achevée, dans la foulée de ses maisons d'avant-guerre, en plus libre, plus ouvert : c'est l'une des dernières qu'il imagine, à peu près contemporaine des maisons Jaoul (1955), du couvent de la Tourette (1960) ou de la chapelle de Ronchamp (1955). Habiter chez Corbu exige souvent une forme de sainteté que n'eut pas la famille. Elle abandonna les lieux au bout de dix ans. La villa pourrit sur place jusqu'à sa restauration en 1987 et sa conversion en siège du Collège des architectes argentins. Une autre forme de piété".
On aimera le style un peu faux et fielleux de ce petit poulet. Il est certes difficile de parler d'une telle maison en si peu de place, mais l'auteur aurait pu commencer au moins par ne pas écrire une erreur par ligne, et sur quel ton... Quand on connait l'importance de l'Amérique du sud pour l'architecte, les conférences qu'il y fit, le plan de Buenos Aires, l'influence énorme qu'il y eut sur toute la jeune génération des architectes modernes de nombreux pays...
"Corbu n'y mit jamais les pieds"? Qu'est ce qu'il veut dire? Alors que la force de LC c'est d'avoir fait une villa aussi génialement contextuelle sans, effectivement, avoir vu le site autrement qu'en photo. Je suggère à l'auteur de lire le petit ouvrage d'Alejandro Lapuzina consacré à la maison (Princeton architectural press): on y lit la magnifique lettre de remerciement envoyée à Corbu par le docteur Curutchet quand il reçut les plans, elle vous tire des larmes, et j'imagine peu de clients aujourd'hui écrire en ces termes à leur architecte, surtout en n'ayant que les plans en main et pas encore la maison... On y apprend aussi que Mme Curutchet, devenue cardiaque, dut quitter la maison à cause des escaliers, et que le Dr Currutchet la conserva longtemps (la maison...), même après avoir du la quitter pour cela (toujours la maison...). L'architecte chargé du chantier par le client et LC, Amancio Williams, n'était pas un manchot, et même un brillant architecte. Il prit sa tâche comme un honneur (il faut voir comme il écrit quand il suggère à LC de modifier l'escalier "à la petit hôtel" du vestibule) et il est pour beaucoup dans la qualité du projet. Qualité considérable, énorme, pour cette maison que le pignouf du Monde expédie en une ligne: "une belle maison à l'écriture achevée, dans la foulée de ses maisons d'avant-guerre, en plus libre, plus ouvert". Que voilà bien des paroles verbales, des mots pour ne rien dire du tout (écriture achevée? il en connait d'inachevé, chez LC?) et cela pour parler d'une de ses maisons les plus complexes (avec Shodan, disons), si complexe que même en croyant la connaître on peut passer une heure à essayer de retrouver le plan et, surtout, la coupe (enfin les coupes puisque elles changent énormément à quelques mètres de distance).
Etre un saint pour habiter chez LC? En tout cas, on le deviendra peut être, comme dans toutes les architectures qui vous transportent et vous transforment... L'espace de la maison Curutchet est riche, et plus encore : il transforme la vie en aventure du temps, on y découvre que l'architecture embellit la vie de tous pour presque rien, que l'architecte s'est tué à mettre de la pensée partout, jaillissante et profuse, pour que, plus tard, des habitants qui n'en sauraient rien auparavant en aient le cœur et le corps dilatés, submergés par une beauté qu'ils n'imaginaient pas.
Et pour le type du Monde? Mets-le dans une chambre de Laurent Niget, ça ira bien .
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