Passionnant article d'AMC, qui fait l'objet, exceptionnellement, d'une publication sur le site du Moniteur: il faut dire que le projet dont il parle est si épastrouillant qu'il mérite un tel traitement de faveur: c'est l'école d'architecure construite par Mimram à Strasbourg. Article et commentaires en ligne ici. Il faudrait se demander pourquoi les écoles d'architecture récemment construites en France sont toutes désastreuses: Mimram à Strasbourg, donc, mais aussi Borel à Val de Seine (ils ont fait le même projet, d'ailleurs: des étages de salles superposées, sans aucun travail typologique ni coupe, et revêtues), Seradji à Lille et LV à Nantes. A Strasbourg on avait restructuré il y a trente ans un garage pour en faire une école d'architecture, Lacaton et Vassal, eux, construisent directement un parking en guise d'école d'architecture.
On relire le texte d'Artigas que j'avais mis en ligne pour se convaincre que sa pensée est à un tout autre niveau que celle d'ici, où l'on bourre de programme une boîte (ou plusieurs ds le cas de Mimram). C'est ce qui fit apparaître Nantes comme un chef d’œuvre de la pensée architecturale: on y met le programme sur des dalles au lieu de le mettre dans des boîtes. mais la forme y est toujours aussi peu signifiante...
lundi 30 septembre 2013
lundi 29 juillet 2013
Triomphe de Mme Verdurin
Le ministre de la culture vient de lancer la nouvelle campagne pour les albums des jeunes architectes et paysagistes. C'est l'occasion de publier un texte paru l'an dernier: la Société Française des Architectes avait lancé un appel à articles pour son bulletin consacré à l'enseignement, j'avais envoyé le texte qui suit et ils l'avaient publié. Il avait été écrit avant les élections présidentielles et législatives, ce qui explique la fin.
TRIOMPHE DE MME VERDURIN
Monde de l'architecture, architecture mondaine
- Es-tu content ? Es-tu toujours content ?
le Diable s'adressant au
Soldat, dans
Histoire du Soldat
(L.-F. Ramuz et Igor Stravinsky)
Pour faire partie du « petit noyau », du
« petit groupe », du « petit clan » des Verdurin, une
condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer
tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste protégé
par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait : « Ça ne
devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça ! »,
« enfonçait » à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard
avait plus de diagnostic que Potain. Toute « nouvelle recrue » à qui
les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n’allaient
pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se voyait immédiatement
exclue.
Marcel Proust, Du côté de
chez Swann
L'an dernier, le cours de littérature d'Antoine Compagnon
au Collège de France était intitulé « 1966 : Annus
mirabilis ». Il portait sur le moment charnière des années 1965-1966
que Compagnon considère comme une sorte d'épiphanie dans la vie intellectuelle
française de l'après-guerre.
Dans la chronologie de la vie culturelle et politique qui
accompagne son cours – et qui témoigne effectivement de la richesse de la
période – aucune occurrence ne se rapporte directement à l'architecture. Une,
quand même, s'y rattache par la bande : la nomination de Paul Delouvrier
comme préfet de la région de Paris en septembre 1966.
C'est peut-être qu'en France, cette
année n'est pas aussi brillante dans le champ de l'architecture qu'ailleurs...
Les grands ensembles se construisent à tour de bras, dessinés par des agences d'affaires qui reproduisent le même dessin en
nombre. Les agences qui comptent dans le paysage économique ne sont pas celles
où l'on pense, et celles où l'on pense sont peu nombreuses. Le Corbusier est
mort en août 1965 ; quelques solides professionnels font une architecture
respectable de grands projets d'aménagements, mais les « auteurs »
qui arrivent à construire sont finalement très peu nombreux : l'atelier de
Montrouge, l'AUA, Edouard Albert, Candilis-Josic-Woods, Roland Simounet, Roland
Schweitzer. D'ailleurs, dans le monde d'alors, les grands architectes
construisent peu, à quelques exceptions près.
Les revues ? L'Architecture d'aujourd'hui
publie alors tout ce qui se construit, sans critique véritablement structurée
et sans faire la différence entre architecture et construction.
La critique, d'ailleurs ? Elle est, alors,
pratiquement inexistante en France. On reprochera plus tard à Sartre d'avoir
laissé se construire Sarcelles sans en dire mot, mais c'est la société toute
entière qui ne semble pas s'apercevoir de ce qui se passe autour d'elle, et la
politique ne parle guère de la ville. La droite y fait des affaires et la
gauche estime que ce sont les changements de rapports économiques qui priment.
Il y a quelques rares exceptions, dont Guy Debord ou Henri Lefebvre. En Italie,
la pensée urbaine se renouvelle à Venise, Casabella est dirigée par
Ernesto Rogers jusqu'en 1965, Francesco Rosi a tourné Main basse sur la
ville en 1963.
En France, la critique se développera plus tard. Le
bulletin Architecture Mouvement Continuité (le titre « fait
époque » comme on disait alors), créé en 1967 par la SADG, deviendra
plusieurs années après, sous Jacques Lucan, Patrice Noviant et Olivier Girard,
le lieu de rassemblement des très jeunes architectes formés autour de 1968.
Dans la presse « généraliste », André Fermigier, d'abord critique à l'Observateur
puis au Monde, va défendre le patrimoine, critiquer l'aménagement urbain
fait à marche forcée et ridiculiser la prétention de l'architecture officielle
gaullo-pompidolienne et les projets de promoteurs.
L'enseignement ? C'est est le grand malade de
l'époque. Une école des Beaux-Arts sclérosée, alors férocement
anti-intellectuelle, où l'apprentissage du logement collectif et de l'espace
urbain est absent. Quelques étudiants plus exigeants se forment pratiquement
seuls ou dans des ateliers relativement marginaux (comme celui de Jean Bossu)
mais le niveau global est très faible, l'image de l'architecte-artiste adepte
du « grand geste architectural », sans comptes à rendre, sans cerveau
et sans responsabilité sociale, prédomine.
La construction ? Elle est le fait de grosses agences
anonymes ; les prix
de Rome deviennent Architectes en chefs des bâtiments civils et palais
nationaux à leur retour d'Italie et trustent la construction des bâtiments
publics qui couvrent le territoire, ainsi que celle de nombreux grands
ensembles : ils forment un corps où les édiles et les administrations
puisent. La plupart des bâtiments publics construits alors n'ont aucune qualité
urbaine, de statut ou de représentation. C'est l'alliance entre les
« grands gestes » beaux-arts et la technocratie des aménageurs que
dénoncera Fermigier à propos des premiers projets des Halles.
La ville ? Sa croissance se fait dans un dispositif
entièrement soumis à la logique économique ; on construit rapidement, là
où le terrain n'est pas cher, de vastes ensembles où la satisfaction des
besoins en logements ne s'accompagne d'aucune production d'espace urbain
qualifié. Il y a une déconnexion complète du logement et de l'espace urbain.
La technocratie des Ponts et Chaussées organise la
croissance urbaine, et les villes nouvelles viennent d'être créées en
1965 : les moyens de l'État sont mis au service de ces agglomérations sans
paysage, sans mairie et sans ordre. Dans ce chaos qui prétend mettre fin au
désordre, un peu plus tard, quelques architectes pourront quand même par la
bande construire quelques bons bâtiments de logements. Cela ne suffit pas,
quarante ans plus tard, à sauver ces prétendues villes de l'échec complet.
Le ministère ? L'architecture dépend alors de celui
de l'équipement, et son enseignement de celui de la culture. À ce dernier poste
c'est Malraux : flamboyant et historique, gesticulant et inefficace,
gaullien.
***
Presque cinquante ans plus tard, en 2011, on pourrait
croire que ce monde à disparu et que l'architecture et la construction, en
France, ont bien changé.
L'enseignement ? Il est de nouveau le grand malade de
l'époque. Les années qui suivirent mai 68 virent les tentatives de réconcilier
la modernité et l'espace urbain aboutir dans quelques écoles remarquables.
Depuis, on est revenu à une pensée de la pédagogie de l'architecture plus
facilement compréhensible par les autorités de
tutelle : plus universitaire, plus livresque et plus artistique en même
temps : mais beaucoup plus faible aussi. On n'a jamais fait autant de
« recherche » dans les écoles d'architecture, et on n'y a jamais
aussi peu produit de savoir.
Les écoles sont devenues de petites principautés découpées
en minuscules territoires jaloux, où le saupoudrage tient lieu de politique
pédagogique. En atelier de projet, les étudiants sont de nouveau considérés
comme des « artistes », le geste et le « concept » y
tiennent lieu de réflexion ; dans les autres cours on poursuit une
image universitaire, le savoir semble destiné à éloigner du faire. Quand ils
sont vraiment trop mal formés, les étudiants décident de faire de la recherche,
pour enseigner plus tard. Grâce à de séduisantes innovations administratives
les étudiants peuvent papillonner en Europe entre toutes sortes de mauvaises
écoles, histoire d'avoir l'insatisfaction satisfaite. Le niveau est très
faible, l'image de l'architecte-artiste adepte du « grand geste
architectural », sans comptes à rendre, sans cerveau et sans
responsabilité sociale, prédomine.
Le recrutement des enseignants se fait par un concours
national : il y a quelques années, sur cinq professeurs nommés, quatre
n'avaient jamais construit un bâtiment. Le niveau intellectuel a du s'élever
depuis 1966 puisqu'il faut maintenant – au moins officiellement – avoir un
doctorat pour être maître assistant, et une habilitation à diriger des
recherches pour être professeur. Mais bizarrement, le doctorat en architecture
n'existe pas.
Les revues ? L'Architecture d'Aujourd'hui a
disparu (on me dit que non ? Il faudra vérifier) et l'AMC
d'aujourd'hui a pris sa place pour publier tout et tout ce qui se construit,
sans recul critique et sans plus qu'avant faire la différence entre
architecture et construction. Sa position théorique c'est de ne pas en avoir.
Leurs sœurs des années 70 ou 80, dirigées par Bernard Huet (AA) ou Jacques
Lucan (AMC), n'existent plus. Des revues qui publient des textes de fond et des
analyses poussées de projets, j'en connais peu hormis le Visiteur.
La critique est moribonde, mais pas seulement en France et
pas seulement dans la presse architecturale. André Fermigier est mort et n'a
jamais été remplacé, les journalistes d'architecture ont remplacé les
critiques. Ils « rendent compte », ils aiment tout, et semblent pour
la plupart considérer, à l'image de Libération ou de Wallpaper,
que l'architecture et le design, c'est pareil : c'est drôlement chic en
tout cas. L'idée de commenter un plan ou une coupe ne leur viendra pas, c'est
sûrement trop compliqué. On distribue des prix à tour de bras pour couronner
des projets tous semblables et aussitôt oubliés.
La ville ? Sa croissance se fait plus que jamais dans
un dispositif entièrement soumis à la logique économique ; on construit
beaucoup, là où le terrain n'est pas cher, des vastes lotissements et des zones
commerciales où la consommation ne s'accompagne d'aucune production d'espace
urbain qualifié. « citoyen » est dans toutes les bouches, mais le
mot est utilisé à proportion de la disparition de la chose. En fait toujours
moins citoyen, chacun est toujours plus consommateur.
La technocratie organise de nouveau la croissance ;
les villes nouvelles sont un désastre, mais on continue, encore plus loin, chez
Disney. Et puis de nouveau on construit de vastes réseaux, comme autrefois des
autoroutes : le super métro du grand Paris, s'il voit le jour, servira à
urbaniser des zones encore vides pour le plus grand profit des promoteurs, sans
que les mal logés et les mal transportés d'aujourd'hui y trouvent aucun compte.
La politique s'est emparée de la ville pour n'en faire rien.
La construction ? Les prix de Rome, choisis sur des
« rendus » spectaculaires et des « partis » bien simples à
lire ont disparu après 1968 ; avec eux, les architectes en chef des
bâtiments civils et palais nationaux. Comme ils devaient manquaient à
l'administration, ils ont été rétablis il y a dix ans sous le nom de
« nouveaux albums de la jeune architecture ». Leurs
« rendus » sont toujours spectaculaires mais maintenant photoshoppés.
Les partis quant à eux sont encore plus faciles à lire que du temps des prix de
Rome : tout le monde fait la même boîte, seul le revêtement change
(« vous la préférez en vert pomme ou en orange fluo ? Jaune
devant ? Marron derrière ? ») . Les maires anxieux de devoir sélectionner
un architecte parmi des candidats trop nombreux peuvent choisir avec
soulagement des équipes estampillés par le Ministère et qui leur font du vieux
avec du neuf ; ces architectes là, au moins, n'ennuieront personne en
voulant « faire la ville », apporter un peu d'espace public avec leur
bâtiment ou – encore moins – changer le monde. Avec eux, l'académisme inculte
et satisfait triomphe sous le masque d'une triste avant-garde
« artiste » et désinvolte, qui, surtout, ne dérange personne – sauf
les habitants des logements qu'ils bâclent et les enfants qui grandissent dans
leurs écoles sans lumière.
Les prix de Rome d'autrefois allaient à la villa Médicis :
il en existe aujourd'hui une sorte d'équivalent. Beaucoup moins agréable quant
au lieu lui-même, assurément, mais il faut aussi y être passé pour être un nom,
pour construire, être publié, récompensé, primé, construire de nouveau,
exposer : ce lieu qui fait les réputations, qui tranche des jurys et des
choix, ce lieu qui décide qui est in et qui out, ce lieu où l'on
vous explique que pour réussir comme architecte il faut être « mondain et
léger », cet endroit est à Paris, c'est un pavillon d'exposition, nommé de
l'Arsenal.
L'Arsenal, à sa manière, nous rappelle aussi les années
60 : la Doxa répète sans cesse aujourd'hui que, pour la génération
post-moderne, les idéologies ont disparu : quelle erreur ! L'Arsenal
est la preuve que l'idéologie existe encore ; une idéologie du toc, du
chic à la gomme, des façades vert pomme et orange fluo, des logements
mono-orientés au nord et des cuisines sans jour, de la même forme molle pour
les bâtiments qu'on y expose et pour les petits fours servis à chaque
inauguration où se pressent les amis de la patronne qui sont tellement
sympathiques et fun.
Les autres ? des rabat-joie, des « ennuyeux »
comme les appelle Mme Verdurin, des importuns si fâcheux quand ils soutiennent
que faire des logements c'est difficile, que le plan c'est important, que la
qualité d'usage est la condition d'existence de l'architecture, que la
générosité d'un projet est essentielle pour la ville et pour l'espace urbain ou
que la rationalité doit guider les architectes. Ceux-là ne seront pas invités
chez Mme Verdurin, ils ne construiront pas, Mme Verdurin n'organisera pas pour
ses amis de visite de leurs bâtiments construits : il ne manquerait plus
que ça ! Mme Verdurin soutient son clan et « comme disait M.
Verdurin : "tout pour les amis, vivent les camarades !" ».
Il est triste que ce soit une municipalité de gauche qui
ait fait de cet ancien lieu de débat et d'exposition ce qu'il est devenu. La
ville – où l'on invoque sans cesse l'importance du logement social – y promeut
maintenant avec constance la mochardise toc et la branchitude éphémère des
pires coteries salonnardes. On s'y enchante de la désolante tour Triangle du
groupe Unibail comme on défigure avec enthousiasme les serres d'Auteuil
(dépêchez-vous d'aller les visiter avant qu'elles aient été Rolland-Garossées).
Le pire reste peut-être à venir : dans le Temps
retrouvé, Mme Verdurin est devenue princesse de Guermantes et règne sur le
faubourg Saint-Germain tout entier : on aimerait être sûr que rien de tel
n'arrivera en 2012 si, comme je l'espère par ailleurs, la gauche l'emportait.
mardi 9 juillet 2013
la mise en espace de la démocratie
As an
architectural proposal the FAU building defends the thesis of spatial
continuity. Its six floors are connected by wide, gentle ramps that
tend to give the feeling of a single plane. There is a continuous
physical interconnection throughout the building. The space is open
and the divisions do not separate the floors but simply gjve them a
wider function. The school has a simple finish, modest as is
appropriate for a school of architecture which is also a test
laboratory. The sensation of spatial generosity with its structure
increases the degree of conviviality, of meetings, of communications.
Should one give a shout anywhere in the building, one feels the
responsibility of having interfered with the entire environment.
There the individual learns, becomes urbanized and gains a spirit of
teamwork.
Concrete is not just an inexpensive solution, it also reflects the
need to find the means for artistic expression, using the structure
of the building, its most worthy part. For the architect, the
structure should not play the humble role of a skeleton, but should
express the grace with which all new materials allow the mastering of
cosmic forms, with the elegance of greater spans, of lighter forms.
This building reflects the worthy ideals of today : I saw it
as a spatialization of democracy, in dignified spaces, without front
doors – a temple where all activities are valid.
Vilanova Artigas, à propos de son projet pour la faculté d'architecture de São Paulo (cité dans le volume de la revue 2G qui lui est consacré)
lundi 8 juillet 2013
évanescent II
Dans le Moniteur de vendredi, parmi les résultats de concours, cette image d'un projet de 57 logements de Bernard Bühler à Bordeaux. On se demande où l'on va habiter, dans ce nuage vaporeux où rien ne marque, et où murs, dalles et toitures sont transparents. Les perspectivistes avaient déjà osé faire disparaître un gymnase, là ils font disparaître un bâtiment de logements tout entier...
Cette autre perspective se trouve sur le site de l'architecte: c'est beau comme du Barbara Cartland.
Voici les plans de l'opération, que le jury ne devait probablement pas avoir:
On y trouve notamment un T4 avec des chambres regardant la coursive, et une cuisine si mal fichue qu'elle envahit la seule chambre de grande taille pour la priver de façade; il y a aussi un T1 auquel on accède par un couloir interminable et à la cuisine dans la chambre....
Rien que de très normal dans le paysage contemporain du logement collectif, mais le vaporeux de l'image (David Hamilton encore, mais les nymphettes en plus) rend l'ensemble exceptionnel.
samedi 6 juillet 2013
Ricciotti 2
Il
faut parfois croire les architectes quand ils écrivent. Ainsi Rudy
Ricciotti dans un entretien au Moniteur :
- Non, les percements y font penser, ce sont des yeux sur une cité rationaliste. Au bout de l’avenue Lénine, coincé entre des barres de plusieurs kilomètres, avec pour horizon des milliers de fenêtres identiques, j’ai fabriqué cette lanterne magique parfaitement réactionnaire, maniériste et petite bourgeoise. Le maire bolchévique romantique sensible au paysage urbain de ses concitoyens l’a parfaitement apprécié, évalué et défendu. Imaginez le résultat quand l’artiste Di Rosa aura réalisé son intervention dans le hall, quelle trahison à la modernité ! »
« Réactionnaire,
maniériste et petite bourgeoise » : pas mal. Mais non, en
fait ; RR n’est pas maniériste : Jules Romains l’était,
Kagan l’était, et c'est une qualité de leur travail. Réactionnaire et petit-bourgeois, en revanche, parfaitement. Et aussi vulgaire et (in)suffisant?
samedi 29 juin 2013
en allant à Chaillot
Pour aller à
l’exposition Breuer à Chaillot, je passe à vélo par les nouveaux
quais rive gauche. L’aménagement commence sous le musée d'Orsay, et on en parle dans les gazettes
comme d’une sensationnelle nouveauté. Il consiste essentiellement à avoir empêché
les voitures de descendre sur la voie express, et l'on marche simplement sur la chaussée. Des
containers portuaires ont été disposés ça et là pour abriter
quelques activités (de secours notamment). Des peintures sont
sommairement dessinées au sol. On voit des petites tentes avec une
étiquette « occupé » (oui, comme des WC). C’est là
l’attraction majeure : des « espaces » que l’on
peut réserver avec ses amis; un peu plus loin en aval ces espaces
prendront la forme de petites cabanes en bois, disposées à côté du grand
tableau des réservations. Dans les tentes qui ne sont pas vides on
voit des petits groupes papoter assis, dans une étrange situation
quant à leur intimité : c’est comme si ils étaient dans un
salon privé, mais au vu de tous.
Cet endroit
extraordinaire de néant résume tout un art de l’événementiel
et du festif qui
trouve là un sommet. Il faut occuper
les gens, les activités doivent être nombreuses, être simplement là ne
suffit pas.
Aurait-on pu faire
mieux ? On pense avec regret que là où la voiture a passé,
elle ne peut tout à fait se laisser oublier. Il était sans doute
impossible, inimaginable (et, surtout : beaucoup trop cher) pour
Delanoé et ses communicants de mettre des pavés, de planter des
arbres, de disposer des bancs, et de s’arrêter là : de
reconstituer les quais de Seine tels qu’ils étaient, en somme. Il
faut tout parisplager. On peut sans doute rêver d’un ambitieux
projet architectural qui transforme, habite, utilise et offre un
nouveau regard, un regard jamais vu sur la ville depuis les quais –
mais j’ai peur que la défunte voie express n’aie été alors une
bien meilleure réponse à cette idée d’une promenade du XXIème
siècle, en tout cas plus enthousiasmante, que ce chamboule-tout qui
m’évoque les fêtes du 14-juillet de mon enfance, au bal de
campagne de la maison de ma grand-mère.
Les badauds ne
regardent pas le paysage, mais cherchent la prochaine attraction,
c’est la fête à Neu-Neu sur les quais. Les aménagements sont
faits pour les groupes et les familles. Comment être seul ici ?
Seul dans sa petite tente individuelle pour se retrouver ??
C’est la lente disparition de la foule baudelairienne (ou
Benjaminienne) où l’on est seul parmi les autres à les regarder ;
c’est aussi la fin du dragueur solitaire au profit de la seule
drague en bande (il faudra avoir du courage pour retenir avec un
inconnu sa petite tente...)
Quant à
l’exposition Breuer : elle vient du musée Vitra, et est
assez médiocre : les textes sont bricolés ou mal traduits
comme souvent (peu de musées semblent se soucier de faire relire les
notices par quelqu’un qui sache écrire le français – c’était
mon passage « vieux con »). Les « problématiques »
(pour parler comme un chercheur en architecture) sont assez
artificielles (le porte à faux, l’impayable « rectangle
couché », etc), l’architecture de la période allemande
n’est pas montrée.
La
rencontre avec Nervi qui, d’après les commissaires de l’exposition,
est à la racine du goût du Breuer des années 50 pour le béton, ne
lui a pas fait que du bien. Il y a un effet d’accumulation de ces
grandes structures bizarrement proportionnées, pas très bien
éclairées pour la plupart, et où la sculpture l’emporte sur
l’architecture. Il y a du bolidisme dans ce Breuer-là, celui des églises, ou du
Whitney sans lumière. Un petit peu, seulement : Breuer a un
sens de la structure que les bolidistes d'aujourd'hui ignorent
complètement, mais quand même. Il y a dans l’église de St John's Abbey (Collegeville, Minnesota, 1961) un côté Zorglub et années 50 qui s’est peut-être démodé.
Cella dit sous toute réserve: on dit la même chose de Royan qui est bien pourtant un chef d’œuvre - surtout le casino.
Naturellement, ceux qui voient l’architecture comme une suite de
styles aimeront, mais il me semble que si l’on aime dans
l’architecture moderne quelque chose de plus intime, de plus
« retournant » alors il est un peu "à côté" dans ces œuvres tardives. Il manque aussi dans les oeuvres présentées certaines des plus belles maison: celle qu'il dessine pour Gropius (et avec lui), qui est une prodigieuse invention, n’est pas exposée.
Je ne découvre
qu’après un moment que des tiroirs malcommodes permettent de
sortir les plans de sous les meubles où sont les maquettes. Personne
ne semblait s’en être avisé non plus, dans les visiteurs qui
étaient là.
Il y a aussi une
« exposition » Ricciotti dans une autre salle. On n’y
trouve pas de plans, pas de maquettes, rien : rien que
quelques photos en gros plan de matériaux et des bouts d’os de
bâtiments grandeur nature. Ces morceaux de poteaux moulés sont
disposés au sol ou en gros faisceaux graphiques, de telle sorte
qu’on ne saura jamais que ça porte, que ça tient ou que ça
suspend : ils sont juste des bouts de design (assez moches).
Mais Ricciotti a raison de montrer ça : ses cages de béton,
ses façades toujours répétées, carcérales et sinistres sont
quand même ce qu’il y a de mieux dans ses bâtiments.
Si vous allez sur
le site de Chaillot, il y a un « tumblr-livre d’or »,
qui n’est guère fréquenté : une seule contribution à ce
jour, si grotesque que vous allez croire que c’est moi qui l’ait écrite.
mardi 25 juin 2013
Perrault 2
Kahn disait que
quand il ne sait pas comment commencer, il fait un carré.
Dominique Perrault, lui, commence par un rectangle. Et généralement, il finit
par un rectangle aussi - le même qu’au début, d’ailleurs.
Parfois il
l’agrémente d’un voile, d’un tulle, d’une gaze jetée sur la
maquette : comme le tulle est transparent, on devine la forme
bien bête du bâtiment dessous. On l'avait vu en 2008 à l'exposition que lui avait consacré Beaubourg : une exposition de maquettes en fait, il n'y avait presque rien d’autre,
un plan par ci par là, peut être, au ras du sol, des photos de
site. Et des maquettes, toutes sortes de maquettes, immenses,
gigantesques ou petites (le concept!) mais toujours magnifiques (la maquette, pas le projet).
Pour
l’université de jeunes filles qu'il a construite en Corée, Perrault a fait une longue
fente dans une colline, une faille bordée de deux grandes façades
vitrées. Ces deux grandes façades seront la seule source de
lumière de tout le bâtiment (c’est comme à la TGB, Perrault fait
toujours tout venir du même côté, gens, lumière, usage: tout est
mono-orienté). Derrière s’accumulent des couches de
programmes, bureaux, salles de recherche, etc, toutes dans le noir…
Les bâtiments de chaque côté de la faille sont souterrains, sous
la végétation qui poussera peut être. Une faille dans les arbres,
une fente dans les gros poils, en somme. Si ça n’est pas une
métaphore de classe internationale pour une université de jeunes
filles coréennes… Perrault nous fait la démonstration,
d’ailleurs, que de la lumière, dans une chatte, il n’y en a pas.
Ce projet calamiteux et ridicule avait fait la une d’AMC au mois
d'octobre 2008, et en mars 2009, AMC récidivait, non pas en une mais en page intérieures, en présentant cette fois le
projet pour la Cour européenne de justice… qui est, surprise, un rectangle (mais
on raffine : un rectangle dans un rectangle…) en alu
« champagne ». Une fortune en accastillage, en plaque de
métal sur du métal au métal, et des lustres suspendus en métal
pour des espaces qu’il n’y en a pas. Cela dit, le projet a
quelque chose de situé, presque contextuel - un caractère luxembourgeois, en somme : riche, prétentieux,
ennuyeux et boursouflé.
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