lundi 30 septembre 2013

Strasbourg

Passionnant article d'AMC, qui fait l'objet, exceptionnellement, d'une publication sur le site du Moniteur: il faut dire que le projet dont il parle est si épastrouillant qu'il mérite un tel traitement de faveur: c'est l'école d'architecure construite par Mimram à Strasbourg. Article et commentaires en ligne ici. Il faudrait se demander pourquoi les écoles d'architecture récemment construites en France sont toutes désastreuses: Mimram à Strasbourg, donc, mais aussi Borel à Val de Seine (ils ont fait le même projet, d'ailleurs: des étages de salles superposées, sans aucun travail typologique ni coupe, et revêtues), Seradji à Lille et LV à Nantes. A Strasbourg on avait restructuré il y a trente ans un garage pour en faire une école d'architecture, Lacaton et Vassal, eux, construisent directement un parking en guise d'école d'architecture.
On relire le texte d'Artigas que j'avais mis en ligne pour se convaincre que sa pensée est à un tout autre niveau que celle d'ici, où l'on bourre de programme une boîte (ou plusieurs ds le cas de Mimram). C'est ce qui fit apparaître Nantes comme un chef d’œuvre de la pensée architecturale: on y met le programme sur des dalles au lieu de le mettre dans des boîtes. mais la forme y est toujours aussi peu signifiante...

lundi 29 juillet 2013

Triomphe de Mme Verdurin




Le ministre de la culture vient de lancer la nouvelle campagne pour les albums des jeunes architectes et paysagistes. C'est l'occasion de publier un texte paru l'an dernier: la Société Française des Architectes avait lancé un appel à articles pour son bulletin consacré à l'enseignement, j'avais envoyé le texte qui suit et ils l'avaient publié. Il avait été écrit avant les élections présidentielles et législatives, ce qui explique la fin.



TRIOMPHE DE MME VERDURIN
Monde de l'architecture, architecture mondaine
 

- Es-tu content ? Es-tu toujours content ?
le Diable s'adressant au Soldat, dans
 Histoire du Soldat
(L.-F. Ramuz et Igor Stravinsky)


Pour faire partie du « petit noyau », du « petit groupe », du « petit clan » des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle di­sait : « Ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça ! », « enfonçait » à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cot­tard avait plus de diagnostic que Potain. Toute « nouvelle recrue » à qui les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n’allaient pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se voyait im­médiatement exclue.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann


L'an dernier, le cours de littérature d'Antoine Compagnon au Collège de France était intitulé « 1966 : Annus mirabilis ». Il portait sur le moment charnière des années 1965-1966 que Compagnon considère comme une sorte d'épiphanie dans la vie intellectuelle française de l'après-guerre.
Dans la chronologie de la vie culturelle et politique qui accompagne son cours – et qui témoigne effectivement de la richesse de la période – aucune occurrence ne se rapporte directement à l'architecture. Une, quand même, s'y rattache par la bande : la nomination de Paul Delouvrier comme préfet de la région de Paris en septembre 1966.
 C'est peut-être qu'en France, cette année n'est pas aussi brillante dans le champ de l'architecture qu'ailleurs... Les grands ensembles se construisent à tour de bras, dessinés par des agences d'affaires qui reproduisent le même dessin en nombre. Les agences qui comptent dans le paysage économique ne sont pas celles où l'on pense, et celles où l'on pense sont peu nombreuses. Le Corbusier est mort en août 1965 ; quelques solides professionnels font une architecture respectable de grands projets d'aménagements, mais les « auteurs » qui arrivent à construire sont finalement très peu nombreux : l'atelier de Montrouge, l'AUA, Edouard Albert, Candilis-Josic-Woods, Roland Simounet, Roland Schweitzer. D'ailleurs, dans le monde d'alors, les grands architectes construisent peu, à quelques exceptions près.

Les revues ? L'Architecture d'aujourd'hui publie alors tout ce qui se construit, sans critique véritablement structurée et sans faire la différence entre architecture et construction.
La critique, d'ailleurs ? Elle est, alors, pratiquement inexistante en France. On reprochera plus tard à Sartre d'avoir laissé se construire Sarcelles sans en dire mot, mais c'est la société toute entière qui ne semble pas s'apercevoir de ce qui se passe autour d'elle, et la politique ne parle guère de la ville. La droite y fait des affaires et la gauche estime que ce sont les changements de rapports économiques qui priment. Il y a quelques rares exceptions, dont Guy Debord ou Henri Lefebvre. En Italie, la pensée urbaine se renouvelle à Venise, Casabella est dirigée par Ernesto Rogers jusqu'en 1965, Francesco Rosi a tourné Main basse sur la ville en 1963.
En France, la critique se développera plus tard. Le bulletin Architecture Mouvement Continuité (le titre « fait époque » comme on disait alors), créé en 1967 par la SADG, deviendra plusieurs années après, sous Jacques Lucan, Patrice Noviant et Olivier Girard, le lieu de rassemblement des très jeunes architectes formés autour de 1968. Dans la presse « généraliste », André Fermigier, d'abord critique à l'Observateur puis au Monde, va défendre le patrimoine, critiquer l'aménagement urbain fait à marche forcée et ridiculiser la prétention de l'architecture officielle gaullo-pompidolienne et les projets de promoteurs.

L'enseignement ? C'est est le grand malade de l'époque. Une école des Beaux-Arts sclérosée, alors férocement anti-intellectuelle, où l'apprentissage du logement collectif et de l'espace urbain est absent. Quelques étudiants plus exigeants se forment pratiquement seuls ou dans des ateliers relativement marginaux (comme celui de Jean Bossu) mais le niveau global est très faible, l'image de l'architecte-artiste adepte du « grand geste architectural », sans comptes à rendre, sans cerveau et sans responsabilité sociale, prédomine.

La construction ? Elle est le fait de grosses agences anonymes ; les prix de Rome deviennent Architectes en chefs des bâtiments civils et palais nationaux à leur retour d'Italie et trustent la construction des bâtiments publics qui couvrent le territoire, ainsi que celle de nombreux grands ensembles : ils forment un corps où les édiles et les administrations puisent. La plupart des bâtiments publics construits alors n'ont aucune qualité urbaine, de statut ou de représentation. C'est l'alliance entre les « grands gestes » beaux-arts et la technocratie des aménageurs que dénoncera Fermigier à propos des premiers projets des Halles.

La ville ? Sa croissance se fait dans un dispositif entièrement soumis à la logique économique ; on construit rapidement, là où le terrain n'est pas cher, de vastes ensembles où la satisfaction des besoins en logements ne s'accompagne d'aucune production d'espace urbain qualifié. Il y a une déconnexion complète du logement et de l'espace urbain.
La technocratie des Ponts et Chaussées organise la croissance urbaine, et les villes nouvelles viennent d'être créées en 1965 : les moyens de l'État sont mis au service de ces agglomérations sans paysage, sans mairie et sans ordre. Dans ce chaos qui prétend mettre fin au désordre, un peu plus tard, quelques architectes pourront quand même par la bande construire quelques bons bâtiments de logements. Cela ne suffit pas, quarante ans plus tard, à sauver ces prétendues villes de l'échec complet.

Le ministère ? L'architecture dépend alors de celui de l'équipement, et son enseignement de celui de la culture. À ce dernier poste c'est Malraux : flamboyant et historique, gesticulant et inefficace, gaullien.

***

Presque cinquante ans plus tard, en 2011, on pourrait croire que ce monde à disparu et que l'architecture et la construction, en France, ont bien changé.

L'enseignement ? Il est de nouveau le grand malade de l'époque. Les années qui suivirent mai 68 virent les tentatives de réconcilier la modernité et l'espace urbain aboutir dans quelques écoles remarquables. Depuis, on est revenu à une pensée de la pédagogie de l'architecture plus facilement compréhensible par les autorités de tutelle : plus universitaire, plus livresque et plus artistique en même temps : mais beaucoup plus faible aussi. On n'a jamais fait autant de « recherche » dans les écoles d'architecture, et on n'y a jamais aussi peu produit de savoir.
Les écoles sont devenues de petites principautés découpées en minuscules territoires jaloux, où le saupoudrage tient lieu de politique pédagogique. En atelier de projet, les étudiants sont de nouveau considérés comme des « artistes », le geste et le « concept » y tiennent lieu de réflexion ; dans les autres cours on  poursuit une image universitaire, le savoir semble destiné à éloigner du faire. Quand ils sont vraiment trop mal formés, les étudiants décident de faire de la recherche, pour enseigner plus tard. Grâce à de séduisantes innovations administratives les étudiants peuvent papillonner en Europe entre toutes sortes de mauvaises écoles, histoire d'avoir l'insatisfaction satisfaite. Le niveau est très faible, l'image de l'architecte-artiste adepte du « grand geste architectural », sans comptes à rendre, sans cerveau et sans responsabilité sociale, prédomine.
Le recrutement des enseignants se fait par un concours national : il y a quelques années, sur cinq professeurs nommés, quatre n'avaient jamais construit un bâtiment. Le niveau intellectuel a du s'élever depuis 1966 puisqu'il faut maintenant – au moins officiellement – avoir un doctorat pour être maître assistant, et une habilitation à diriger des recherches pour être professeur. Mais bizarrement, le doctorat en architecture n'existe pas.

Les revues ? L'Architecture d'Aujourd'hui a disparu (on me dit que non ? Il faudra vérifier) et l'AMC d'aujourd'hui a pris sa place pour publier tout et tout ce qui se construit, sans recul critique et sans plus qu'avant faire la différence entre architecture et construction. Sa position théorique c'est de ne pas en avoir. Leurs sœurs des années 70 ou 80, dirigées par Bernard Huet (AA) ou Jacques Lucan (AMC), n'existent plus. Des revues qui publient des textes de fond et des analyses poussées de projets, j'en connais peu hormis le Visiteur.
La critique est moribonde, mais pas seulement en France et pas seulement dans la presse architecturale. André Fermigier est mort et n'a jamais été remplacé, les journalistes d'architecture ont remplacé les critiques. Ils « rendent compte », ils aiment tout, et semblent pour la plupart considérer, à l'image de Libération ou de Wallpaper, que l'architecture et le design, c'est pareil : c'est drôlement chic en tout cas. L'idée de commenter un plan ou une coupe ne leur viendra pas, c'est sûrement trop compliqué. On distribue des prix à tour de bras pour couronner des projets tous semblables et aussitôt oubliés.

La ville ? Sa croissance se fait plus que jamais dans un dispositif entièrement soumis à la logique économique ; on construit beaucoup, là où le terrain n'est pas cher, des vastes lotissements et des zones commerciales où la consommation ne s'accompagne d'aucune production d'espace urbain qualifié. « citoyen » est dans toutes les bouches, mais le mot est utilisé à proportion de la disparition de la chose. En fait toujours moins citoyen, chacun est toujours plus consommateur.
La technocratie organise de nouveau la croissance ; les villes nouvelles sont un désastre, mais on continue, encore plus loin, chez Disney. Et puis de nouveau on construit de vastes réseaux, comme autrefois des autoroutes : le super métro du grand Paris, s'il voit le jour, servira à urbaniser des zones encore vides pour le plus grand profit des promoteurs, sans que les mal logés et les mal transportés d'aujourd'hui y trouvent aucun compte. La politique s'est emparée de la ville pour n'en faire rien.

La construction ? Les prix de Rome, choisis sur des « rendus » spectaculaires et des « partis » bien simples à lire ont disparu après 1968 ; avec eux, les architectes en chef des bâtiments civils et palais nationaux. Comme ils devaient manquaient à l'administration, ils ont été rétablis il y a dix ans sous le nom de « nouveaux albums de la jeune architecture ». Leurs « rendus » sont toujours spectaculaires mais maintenant photoshoppés. Les partis quant à eux sont encore plus faciles à lire que du temps des prix de Rome : tout le monde fait la même boîte, seul le revêtement change (« vous la préférez en vert pomme ou en orange fluo ? Jaune devant ? Marron derrière ? ») . Les maires anxieux de devoir sélectionner un architecte parmi des candidats trop nombreux peuvent choisir avec soulagement des équipes estampillés par le Ministère et qui leur font du vieux avec du neuf ; ces architectes là, au moins, n'ennuieront personne en voulant « faire la ville », apporter un peu d'espace public avec leur bâtiment ou – encore moins – changer le monde. Avec eux, l'académisme inculte et satisfait triomphe sous le masque d'une triste avant-garde « artiste » et désinvolte, qui, surtout, ne dérange personne – sauf les habitants des logements qu'ils bâclent et les enfants qui grandissent dans leurs écoles sans lumière.

Les prix de Rome d'autrefois allaient à la villa Médicis : il en existe aujourd'hui une sorte d'équivalent. Beaucoup moins agréable quant au lieu lui-même, assurément, mais il faut aussi y être passé pour être un nom, pour construire, être publié, récompensé, primé, construire de nouveau, exposer : ce lieu qui fait les réputations, qui tranche des jurys et des choix, ce lieu qui décide qui est in et qui out, ce lieu où l'on vous explique que pour réussir comme architecte il faut être « mondain et léger », cet endroit est à Paris, c'est un pavillon d'exposition, nommé de l'Arsenal.

L'Arsenal, à sa manière, nous rappelle aussi les années 60 : la Doxa répète sans cesse aujourd'hui que, pour la génération post-moderne, les idéologies ont disparu : quelle erreur ! L'Arsenal est la preuve que l'idéologie existe encore ; une idéologie du toc, du chic à la gomme, des façades vert pomme et orange fluo, des logements mono-orientés au nord et des cuisines sans jour, de la même forme molle pour les bâtiments qu'on y expose et pour les petits fours servis à chaque inauguration où se pressent les amis de la patronne qui sont tellement sympathiques et fun.
Les autres ? des rabat-joie, des « ennuyeux » comme les appelle Mme Verdurin, des importuns si fâcheux quand ils soutiennent que faire des logements c'est difficile, que le plan c'est important, que la qualité d'usage est la condition d'existence de l'architecture, que la générosité d'un projet est essentielle pour la ville et pour l'espace urbain ou que la rationalité doit guider les architectes. Ceux-là ne seront pas invités chez Mme Verdurin, ils ne construiront pas, Mme Verdurin n'organisera pas pour ses amis de visite de leurs bâtiments construits : il ne manquerait plus que ça ! Mme Verdurin soutient son clan et « comme disait M. Verdurin : "tout pour les amis, vivent les camarades !" ».
Il est triste que ce soit une municipalité de gauche qui ait fait de cet ancien lieu de débat et d'exposition ce qu'il est devenu. La ville – où l'on invoque sans cesse l'importance du logement social – y promeut maintenant avec constance la mochardise toc et la branchitude éphémère des pires coteries salonnardes. On s'y enchante de la désolante tour Triangle du groupe Unibail comme on défigure avec enthousiasme les serres d'Auteuil (dépêchez-vous d'aller les visiter avant qu'elles aient été Rolland-Garossées).

Le pire reste peut-être à venir : dans le Temps retrouvé, Mme Verdurin est devenue princesse de Guermantes et règne sur le faubourg Saint-Germain tout entier : on aimerait être sûr que rien de tel n'arrivera en 2012 si, comme je l'espère par ailleurs, la gauche l'emportait.

mardi 9 juillet 2013

la mise en espace de la démocratie

As an architectural proposal the FAU building defends the thesis of spatial continuity. Its six floors are connected by wide, gentle ramps that tend to give the feeling of a single plane. There is a continuous physical interconnection throughout the building. The space is open and the divisions do not separate the floors but simply gjve them a wider function. The school has a simple finish, modest as is appropriate for a school of architecture which is also a test laboratory. The sensation of spatial generosity with its structure increases the degree of conviviality, of meetings, of communications. Should one give a shout anywhere in the building, one feels the responsibility of having interfered with the entire environment. There the individual learns, becomes urbanized and gains a spirit of teamwork.
Concrete is not just an inexpensive solution, it also reflects the need to find the means for artistic expression, using the structure of the building, its most worthy part. For the architect, the structure should not play the humble role of a skeleton, but should express the grace with which all new materials allow the mastering of cosmic forms, with the elegance of greater spans, of lighter forms.
This building reflects the worthy ideals of today : I saw it as a spatialization of democracy, in dignified spaces, without front doors – a temple where all activities are valid.

Vilanova Artigas, à propos de son projet pour la faculté d'architecture de São Paulo (cité dans le volume de la revue 2G qui lui est consacré)






lundi 8 juillet 2013

évanescent II

 
Dans le Moniteur de vendredi, parmi les résultats de concours, cette image d'un projet de 57 logements de Bernard Bühler à Bordeaux. On se demande où l'on va habiter, dans ce nuage vaporeux où rien ne marque, et où murs, dalles et toitures sont transparents. Les perspectivistes avaient déjà osé faire disparaître un gymnase, là ils font disparaître un bâtiment de logements tout entier...

Cette autre perspective se trouve sur le site de l'architecte: c'est beau comme du Barbara Cartland.

Voici les plans de l'opération, que le jury ne devait probablement pas avoir:

On y trouve notamment un T4 avec des chambres regardant la coursive, et une cuisine si mal fichue qu'elle envahit la seule chambre de grande taille pour la priver de façade; il y a aussi un T1 auquel on accède par un couloir interminable et à la cuisine dans la chambre....

Rien que de très normal dans le paysage contemporain du logement collectif, mais le vaporeux de l'image (David Hamilton encore, mais les nymphettes en plus) rend l'ensemble exceptionnel.


samedi 6 juillet 2013

Ricciotti 2

Il faut parfois croire les architectes quand ils écrivent. Ainsi Rudy Ricciotti dans un entretien au Moniteur :

- « Le bâtiment semble inspiré du travail de l’artiste Lucio Fontana. Quelle était la symbolique ici à Gennevilliers dans ce quartier du Luth ?
- Non, les percements y font penser, ce sont des yeux sur une cité rationaliste. Au bout de l’avenue Lénine, coincé entre des barres de plusieurs kilomètres, avec pour horizon des milliers de fenêtres identiques, j’ai fabriqué cette lanterne magique parfaitement réactionnaire, maniériste et petite bourgeoise. Le maire bolchévique romantique sensible au paysage urbain de ses concitoyens l’a parfaitement apprécié, évalué et défendu. Imaginez le résultat quand l’artiste Di Rosa aura réalisé son intervention dans le hall, quelle trahison à la modernité ! »



« Réactionnaire, maniériste et petite bourgeoise » : pas mal. Mais non, en fait ; RR n’est pas maniériste : Jules Romains l’était, Kagan l’était, et c'est une qualité de leur travail. Réactionnaire et petit-bourgeois, en revanche, parfaitement. Et aussi vulgaire et (in)suffisant?

samedi 29 juin 2013

en allant à Chaillot

Pour aller à l’exposition Breuer à Chaillot, je passe à vélo par les nouveaux quais rive gauche. L’aménagement commence sous le musée d'Orsay, et on en parle dans les gazettes comme d’une sensationnelle nouveauté. Il consiste essentiellement à avoir empêché les voitures de descendre sur la voie express, et l'on marche simplement sur la chaussée. Des containers portuaires ont été disposés ça et là pour abriter quelques activités (de secours notamment). Des peintures sont sommairement dessinées au sol. On voit des petites tentes avec une étiquette « occupé » (oui, comme des WC). C’est là l’attraction majeure : des « espaces » que l’on peut réserver avec ses amis; un peu plus loin en aval ces espaces prendront la forme de petites cabanes en bois, disposées à côté du grand tableau des réservations. Dans les tentes qui ne sont pas vides on voit des petits groupes papoter assis, dans une étrange situation quant à leur intimité : c’est comme si ils étaient dans un salon privé, mais au vu de tous.
Cet endroit extraordinaire de néant résume tout un art de l’événementiel et du festif qui trouve là un sommet. Il faut occuper les gens, les activités doivent être nombreuses, être simplement là ne suffit pas.
Aurait-on pu faire mieux ? On pense avec regret que là où la voiture a passé, elle ne peut tout à fait se laisser oublier. Il était sans doute impossible, inimaginable (et, surtout : beaucoup trop cher) pour Delanoé et ses communicants de mettre des pavés, de planter des arbres, de disposer des bancs, et de s’arrêter là : de reconstituer les quais de Seine tels qu’ils étaient, en somme. Il faut tout parisplager. On peut sans doute rêver d’un ambitieux projet architectural qui transforme, habite, utilise et offre un nouveau regard, un regard jamais vu sur la ville depuis les quais – mais j’ai peur que la défunte voie express n’aie été alors une bien meilleure réponse à cette idée d’une promenade du XXIème siècle, en tout cas plus enthousiasmante, que ce chamboule-tout qui m’évoque les fêtes du 14-juillet de mon enfance, au bal de campagne de la maison de ma grand-mère.
Les badauds ne regardent pas le paysage, mais cherchent la prochaine attraction, c’est la fête à Neu-Neu sur les quais. Les aménagements sont faits pour les groupes et les familles. Comment être seul ici ? Seul dans sa petite tente individuelle pour se retrouver ?? C’est la lente disparition de la foule baudelairienne (ou Benjaminienne) où l’on est seul parmi les autres à les regarder ; c’est aussi la fin du dragueur solitaire au profit de la seule drague en bande (il faudra avoir du courage pour retenir avec un inconnu sa petite tente...)


Quant à l’exposition Breuer : elle vient du musée Vitra, et est assez médiocre : les textes sont bricolés ou mal traduits comme souvent (peu de musées semblent se soucier de faire relire les notices par quelqu’un qui sache écrire le français – c’était mon passage « vieux con »). Les « problématiques » (pour parler comme un chercheur en architecture) sont assez artificielles (le porte à faux, l’impayable « rectangle couché », etc), l’architecture de la période allemande n’est pas montrée.
La rencontre avec Nervi qui, d’après les commissaires de l’exposition, est à la racine du goût du Breuer des années 50 pour le béton, ne lui a pas fait que du bien. Il y a un effet d’accumulation de ces grandes structures bizarrement proportionnées, pas très bien éclairées pour la plupart, et où la sculpture l’emporte sur l’architecture. Il y a du bolidisme dans ce Breuer-là, celui des églises, ou du Whitney sans lumière. Un petit peu, seulement : Breuer a un sens de la structure que les bolidistes d'aujourd'hui ignorent complètement, mais quand même. Il y a dans l’église de St John's Abbey (Collegeville, Minnesota, 1961) un côté Zorglub et années 50 qui s’est peut-être démodé. Cella dit sous toute réserve: on dit la même chose de Royan qui est bien pourtant un chef d’œuvre - surtout le casino.
Naturellement, ceux qui voient l’architecture comme une suite de styles aimeront, mais il me semble que si l’on aime dans l’architecture moderne quelque chose de plus intime, de plus « retournant » alors il est un peu "à côté" dans ces œuvres tardives. Il manque aussi dans les oeuvres présentées certaines des plus belles maison: celle qu'il dessine pour Gropius (et avec lui), qui est une prodigieuse invention, n’est pas exposée.
Je ne découvre qu’après un moment que des tiroirs malcommodes permettent de sortir les plans de sous les meubles où sont les maquettes. Personne ne semblait s’en être avisé non plus, dans les visiteurs qui étaient là.

Il y a aussi une « exposition » Ricciotti dans une autre salle. On n’y trouve pas de plans, pas de maquettes, rien : rien que quelques photos en gros plan de matériaux et des bouts d’os de bâtiments grandeur nature. Ces morceaux de poteaux moulés sont disposés au sol ou en gros faisceaux graphiques, de telle sorte qu’on ne saura jamais que ça porte, que ça tient ou que ça suspend : ils sont juste des bouts de design (assez moches). Mais Ricciotti a raison de montrer ça : ses cages de béton, ses façades toujours répétées, carcérales et sinistres sont quand même ce qu’il y a de mieux dans ses bâtiments.
Si vous allez sur le site de Chaillot, il y a un « tumblr-livre d’or », qui n’est guère fréquenté : une seule contribution à ce jour, si grotesque que vous allez croire que c’est moi qui l’ait écrite.

mardi 25 juin 2013

Perrault 2

Kahn disait que quand il ne sait pas comment commencer, il fait un carré. Dominique Perrault, lui, commence par un rectangle. Et généralement, il finit par un rectangle aussi - le même qu’au début, d’ailleurs.
Parfois il l’agrémente d’un voile, d’un tulle, d’une gaze jetée sur la maquette : comme le tulle est transparent, on devine la forme bien bête du bâtiment dessous. On l'avait vu en 2008 à l'exposition que lui avait consacré Beaubourg : une exposition de maquettes en fait, il n'y avait presque rien d’autre, un plan par ci par là, peut être, au ras du sol, des photos de site. Et des maquettes, toutes sortes de maquettes, immenses, gigantesques ou petites (le concept!) mais toujours magnifiques (la maquette, pas le projet).
Pour l’université de jeunes filles qu'il a construite en Corée, Perrault a fait une longue fente dans une colline, une faille bordée de deux grandes façades vitrées. Ces deux grandes façades seront la seule source de lumière de tout le bâtiment (c’est comme à la TGB, Perrault fait toujours tout venir du même côté, gens, lumière, usage: tout est mono-orienté). Derrière s’accumulent des couches de programmes, bureaux, salles de recherche, etc, toutes dans le noir… Les bâtiments de chaque côté de la faille sont souterrains, sous la végétation qui poussera peut être. Une faille dans les arbres, une fente dans les gros poils, en somme. Si ça n’est pas une métaphore de classe internationale pour une université de jeunes filles coréennes… Perrault nous fait la démonstration, d’ailleurs, que de la lumière, dans une chatte, il n’y en a pas.
Ce projet calamiteux et ridicule avait fait la une d’AMC au mois d'octobre 2008, et en mars 2009, AMC récidivait, non pas en une mais en page intérieures, en présentant cette fois le projet pour la Cour européenne de justice… qui est, surprise, un rectangle (mais on raffine : un rectangle dans un rectangle…) en alu « champagne ». Une fortune en accastillage, en plaque de métal sur du métal au métal, et des lustres suspendus en métal pour des espaces qu’il n’y en a pas. Cela dit, le projet a quelque chose de situé, presque contextuel - un caractère luxembourgeois, en somme : riche, prétentieux, ennuyeux et boursouflé.