samedi 29 juin 2013

en allant à Chaillot

Pour aller à l’exposition Breuer à Chaillot, je passe à vélo par les nouveaux quais rive gauche. L’aménagement commence sous le musée d'Orsay, et on en parle dans les gazettes comme d’une sensationnelle nouveauté. Il consiste essentiellement à avoir empêché les voitures de descendre sur la voie express, et l'on marche simplement sur la chaussée. Des containers portuaires ont été disposés ça et là pour abriter quelques activités (de secours notamment). Des peintures sont sommairement dessinées au sol. On voit des petites tentes avec une étiquette « occupé » (oui, comme des WC). C’est là l’attraction majeure : des « espaces » que l’on peut réserver avec ses amis; un peu plus loin en aval ces espaces prendront la forme de petites cabanes en bois, disposées à côté du grand tableau des réservations. Dans les tentes qui ne sont pas vides on voit des petits groupes papoter assis, dans une étrange situation quant à leur intimité : c’est comme si ils étaient dans un salon privé, mais au vu de tous.
Cet endroit extraordinaire de néant résume tout un art de l’événementiel et du festif qui trouve là un sommet. Il faut occuper les gens, les activités doivent être nombreuses, être simplement là ne suffit pas.
Aurait-on pu faire mieux ? On pense avec regret que là où la voiture a passé, elle ne peut tout à fait se laisser oublier. Il était sans doute impossible, inimaginable (et, surtout : beaucoup trop cher) pour Delanoé et ses communicants de mettre des pavés, de planter des arbres, de disposer des bancs, et de s’arrêter là : de reconstituer les quais de Seine tels qu’ils étaient, en somme. Il faut tout parisplager. On peut sans doute rêver d’un ambitieux projet architectural qui transforme, habite, utilise et offre un nouveau regard, un regard jamais vu sur la ville depuis les quais – mais j’ai peur que la défunte voie express n’aie été alors une bien meilleure réponse à cette idée d’une promenade du XXIème siècle, en tout cas plus enthousiasmante, que ce chamboule-tout qui m’évoque les fêtes du 14-juillet de mon enfance, au bal de campagne de la maison de ma grand-mère.
Les badauds ne regardent pas le paysage, mais cherchent la prochaine attraction, c’est la fête à Neu-Neu sur les quais. Les aménagements sont faits pour les groupes et les familles. Comment être seul ici ? Seul dans sa petite tente individuelle pour se retrouver ?? C’est la lente disparition de la foule baudelairienne (ou Benjaminienne) où l’on est seul parmi les autres à les regarder ; c’est aussi la fin du dragueur solitaire au profit de la seule drague en bande (il faudra avoir du courage pour retenir avec un inconnu sa petite tente...)


Quant à l’exposition Breuer : elle vient du musée Vitra, et est assez médiocre : les textes sont bricolés ou mal traduits comme souvent (peu de musées semblent se soucier de faire relire les notices par quelqu’un qui sache écrire le français – c’était mon passage « vieux con »). Les « problématiques » (pour parler comme un chercheur en architecture) sont assez artificielles (le porte à faux, l’impayable « rectangle couché », etc), l’architecture de la période allemande n’est pas montrée.
La rencontre avec Nervi qui, d’après les commissaires de l’exposition, est à la racine du goût du Breuer des années 50 pour le béton, ne lui a pas fait que du bien. Il y a un effet d’accumulation de ces grandes structures bizarrement proportionnées, pas très bien éclairées pour la plupart, et où la sculpture l’emporte sur l’architecture. Il y a du bolidisme dans ce Breuer-là, celui des églises, ou du Whitney sans lumière. Un petit peu, seulement : Breuer a un sens de la structure que les bolidistes d'aujourd'hui ignorent complètement, mais quand même. Il y a dans l’église de St John's Abbey (Collegeville, Minnesota, 1961) un côté Zorglub et années 50 qui s’est peut-être démodé. Cella dit sous toute réserve: on dit la même chose de Royan qui est bien pourtant un chef d’œuvre - surtout le casino.
Naturellement, ceux qui voient l’architecture comme une suite de styles aimeront, mais il me semble que si l’on aime dans l’architecture moderne quelque chose de plus intime, de plus « retournant » alors il est un peu "à côté" dans ces œuvres tardives. Il manque aussi dans les oeuvres présentées certaines des plus belles maison: celle qu'il dessine pour Gropius (et avec lui), qui est une prodigieuse invention, n’est pas exposée.
Je ne découvre qu’après un moment que des tiroirs malcommodes permettent de sortir les plans de sous les meubles où sont les maquettes. Personne ne semblait s’en être avisé non plus, dans les visiteurs qui étaient là.

Il y a aussi une « exposition » Ricciotti dans une autre salle. On n’y trouve pas de plans, pas de maquettes, rien : rien que quelques photos en gros plan de matériaux et des bouts d’os de bâtiments grandeur nature. Ces morceaux de poteaux moulés sont disposés au sol ou en gros faisceaux graphiques, de telle sorte qu’on ne saura jamais que ça porte, que ça tient ou que ça suspend : ils sont juste des bouts de design (assez moches). Mais Ricciotti a raison de montrer ça : ses cages de béton, ses façades toujours répétées, carcérales et sinistres sont quand même ce qu’il y a de mieux dans ses bâtiments.
Si vous allez sur le site de Chaillot, il y a un « tumblr-livre d’or », qui n’est guère fréquenté : une seule contribution à ce jour, si grotesque que vous allez croire que c’est moi qui l’ait écrite.

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