Pour aller à
l’exposition Breuer à Chaillot, je passe à vélo par les nouveaux
quais rive gauche. L’aménagement commence sous le musée d'Orsay, et on en parle dans les gazettes
comme d’une sensationnelle nouveauté. Il consiste essentiellement à avoir empêché
les voitures de descendre sur la voie express, et l'on marche simplement sur la chaussée. Des
containers portuaires ont été disposés ça et là pour abriter
quelques activités (de secours notamment). Des peintures sont
sommairement dessinées au sol. On voit des petites tentes avec une
étiquette « occupé » (oui, comme des WC). C’est là
l’attraction majeure : des « espaces » que l’on
peut réserver avec ses amis; un peu plus loin en aval ces espaces
prendront la forme de petites cabanes en bois, disposées à côté du grand
tableau des réservations. Dans les tentes qui ne sont pas vides on
voit des petits groupes papoter assis, dans une étrange situation
quant à leur intimité : c’est comme si ils étaient dans un
salon privé, mais au vu de tous.
Cet endroit
extraordinaire de néant résume tout un art de l’événementiel
et du festif qui
trouve là un sommet. Il faut occuper
les gens, les activités doivent être nombreuses, être simplement là ne
suffit pas.
Aurait-on pu faire
mieux ? On pense avec regret que là où la voiture a passé,
elle ne peut tout à fait se laisser oublier. Il était sans doute
impossible, inimaginable (et, surtout : beaucoup trop cher) pour
Delanoé et ses communicants de mettre des pavés, de planter des
arbres, de disposer des bancs, et de s’arrêter là : de
reconstituer les quais de Seine tels qu’ils étaient, en somme. Il
faut tout parisplager. On peut sans doute rêver d’un ambitieux
projet architectural qui transforme, habite, utilise et offre un
nouveau regard, un regard jamais vu sur la ville depuis les quais –
mais j’ai peur que la défunte voie express n’aie été alors une
bien meilleure réponse à cette idée d’une promenade du XXIème
siècle, en tout cas plus enthousiasmante, que ce chamboule-tout qui
m’évoque les fêtes du 14-juillet de mon enfance, au bal de
campagne de la maison de ma grand-mère.
Les badauds ne
regardent pas le paysage, mais cherchent la prochaine attraction,
c’est la fête à Neu-Neu sur les quais. Les aménagements sont
faits pour les groupes et les familles. Comment être seul ici ?
Seul dans sa petite tente individuelle pour se retrouver ??
C’est la lente disparition de la foule baudelairienne (ou
Benjaminienne) où l’on est seul parmi les autres à les regarder ;
c’est aussi la fin du dragueur solitaire au profit de la seule
drague en bande (il faudra avoir du courage pour retenir avec un
inconnu sa petite tente...)
Quant à
l’exposition Breuer : elle vient du musée Vitra, et est
assez médiocre : les textes sont bricolés ou mal traduits
comme souvent (peu de musées semblent se soucier de faire relire les
notices par quelqu’un qui sache écrire le français – c’était
mon passage « vieux con »). Les « problématiques »
(pour parler comme un chercheur en architecture) sont assez
artificielles (le porte à faux, l’impayable « rectangle
couché », etc), l’architecture de la période allemande
n’est pas montrée.
La
rencontre avec Nervi qui, d’après les commissaires de l’exposition,
est à la racine du goût du Breuer des années 50 pour le béton, ne
lui a pas fait que du bien. Il y a un effet d’accumulation de ces
grandes structures bizarrement proportionnées, pas très bien
éclairées pour la plupart, et où la sculpture l’emporte sur
l’architecture. Il y a du bolidisme dans ce Breuer-là, celui des églises, ou du
Whitney sans lumière. Un petit peu, seulement : Breuer a un
sens de la structure que les bolidistes d'aujourd'hui ignorent
complètement, mais quand même. Il y a dans l’église de St John's Abbey (Collegeville, Minnesota, 1961) un côté Zorglub et années 50 qui s’est peut-être démodé.
Cella dit sous toute réserve: on dit la même chose de Royan qui est bien pourtant un chef d’œuvre - surtout le casino.
Naturellement, ceux qui voient l’architecture comme une suite de
styles aimeront, mais il me semble que si l’on aime dans
l’architecture moderne quelque chose de plus intime, de plus
« retournant » alors il est un peu "à côté" dans ces œuvres tardives. Il manque aussi dans les oeuvres présentées certaines des plus belles maison: celle qu'il dessine pour Gropius (et avec lui), qui est une prodigieuse invention, n’est pas exposée.
Je ne découvre
qu’après un moment que des tiroirs malcommodes permettent de
sortir les plans de sous les meubles où sont les maquettes. Personne
ne semblait s’en être avisé non plus, dans les visiteurs qui
étaient là.
Il y a aussi une
« exposition » Ricciotti dans une autre salle. On n’y
trouve pas de plans, pas de maquettes, rien : rien que
quelques photos en gros plan de matériaux et des bouts d’os de
bâtiments grandeur nature. Ces morceaux de poteaux moulés sont
disposés au sol ou en gros faisceaux graphiques, de telle sorte
qu’on ne saura jamais que ça porte, que ça tient ou que ça
suspend : ils sont juste des bouts de design (assez moches).
Mais Ricciotti a raison de montrer ça : ses cages de béton,
ses façades toujours répétées, carcérales et sinistres sont
quand même ce qu’il y a de mieux dans ses bâtiments.
Si vous allez sur
le site de Chaillot, il y a un « tumblr-livre d’or »,
qui n’est guère fréquenté : une seule contribution à ce
jour, si grotesque que vous allez croire que c’est moi qui l’ait écrite.
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